Quand Miles Davis sort en 1960, son album Sketches of Spain, composé avec Gil Evans, les puristes vont lui reprocher l’absence d’improvisation par laquelle jurent alors tous les jazzeux du monde. C’est vrai que Miles sinue et s’insinue parmi les thèmes mélodiques hispaniques classiques, entre concerto de Aranjuez, soleas et saetas qui appartiennent au registre du flamenco, puis autres mélopées pour signaler l’empreinte mauresque sur la culture andalouse ou bien encore les rumeurs de fanfare des jours de procession.
Au Festival Montpellier Danse, la rencontre entre le danseur de flamenco Israel Galván et le trompettiste Michael Leonhart laisse au contraire la bride sur le cou à l’improvisation dans un mano a mano qui fait jaillir par moments des miroitements de diamant brut d’une exceptionnelle beauté.
On scrute chaque apparition de Galván comme celle du messie qu’il est dans un monde du flamenco plutôt abonné à l’orthodoxie d’une gestuelle fixée à jamais par des dynasties de bailaores. À la fois figure de proue autant que flibustier d’un genre qu’il contribue à renouveler autant qu’à dynamiter à chacune de ses créations, Galván est devenu culte depuis ses participations au festival d’Avignon, de la carrière Boulbon en 2009, où il s’enfermait dans un cercueil pour une Apocalypse mémorable jusqu’au Palais des Papes en 2017 où il laissa le public aussi médusé que décontenancé.
C’est que le Sévillan s’affirme comme le chef de file d’un flamenco hors norme, débarrassé de tous les clichés qui ont fait la popularité d’un genre made in Spain, qu’il déconstruit et réinvente au point d’être surnommé le Nijinsky du flamenco par la critique, surprenant son public à chaque fois. On ne peut pas répéter l’inconnu, disait Herbie Hancock, un grand du jazz.
Qu’il danse ou reste dans un coin à écouter les musiciens, Galván concentre l’attention du spectateur. Puis il se lève, dans un style qui peut paraître minimaliste, esquisse sur le sol quelques figures encore charbonneuses, comme le fusain du peintre sur la toile, les bras tout en angles, puisqu’on sait déjà qu’il ne va pas les arrondir par quelques concessions au vocabulaire chorégraphique habituel. Ensuite il se déploie, chamane en transe, faiseur de sortilèges, danseur des solitudes habité et visionnaire, inventant un au-delà du flamenco qui n’est pas sans évoquer par moments le Butô japonais et ses forces ténébreuses, assumant des impasses parfois frustrantes pour le spectateur.
Mais si on attendait Galván, on a eu aussi Michael Leonhart, trompettiste surdoué et chef d’orchestre magistral qui signe avec son ensemble de six musiciens une performance des plus remarquables par sa façon de revisiter les thèmes obsédants des Sketches of Spain de Miles Davis autant que par ses trouvailles sonores insolites. « Une œuvre au futur antérieur » disait la présentation de Montpellier Danse à propos de cet événement qui ne souffrait en effet d’aucun conditionnel l’autre soir dans le bel espace de l’Agora.
A new Sketches of Spain, par Israel Galván et Michael Leonhart.
Luis Armengol
Montpellier Danse ça continue :
- Mar. 1er juillet : Lenio Kaklea Les Oiseaux, création mondiale, Théâtre La Vignette
- Mer. 2 juillet : workshop avec Rauf « RubberLegz » Yasit et Matt Luck chorégraphes et danseurs Friends of Forsythe, Agora.
- Les 2 et 3 juillet : Sylvain Huc & Mathilde Olivares, La Vie nouvelle, Agora.
- Les 2 et 4 juillet : Mourad Merzouki, Kaléidoscope, Opéra Berlioz-Le Corum.
- Les 3 et 4 juillet Amit Noy, Good Luck, Hangar Théâtre.
- Les 3 et 4 juillet Cherish Menzo, Frank, Théâtre Jean-Claude Carrière, Domaine d’O.
- Sam. 5 juillet : Mourad Merzouki, Echo de rue, Place de la Comédie.
Les grandes leçons de danse
Véritables initiations à la danse avec les artistes du 45ᵉ festival, Les grandes leçons de danse sont des moments de convivialité et de partage toujours plus appréciés du public, ouvertes à tous, que vous soyez débutants ou d’un niveau avancé. Aucune pratique préalable de la danse n’est requise. Chaussez-vous confortablement et suivez les consignes données par le chorégraphe pour démarrer la journée sous le signe de la danse.
- Mer. 2 juillet à 10h avec Kader Belmoktar et Joel Luzolo, danseurs de Mourad Merzouki au centre commercial du Polygone
- Jeu. 3 juillet à 10h avec Cherish Menzo dans la Cour de l’Agora (donnée en anglais sans traduction)
- Ven. 4 juillet à 10h avec Salia Sanou sur l’Esplanade Charles de Gaulle (devant le kiosque Bosc)
Plus d’infos : montpellierdanse.com