Alors que se poursuit à l’étage du LAC, à Sigean, l’hommage au fondateur du lieu, Piet Moget, une consœur occupe le rez-de-chaussée de toiles et œuvres sur papier, dans un rapport de confraternité avec son aîné. Marie-Cécile Aptel fait partie de ces artistes qui ont abandonné la figuration franche de leurs débuts pour vouer leur vie à l’expérience de la picturalité.
100 fois sur le métier l’artiste remet son ouvrage, découvrant en permanence de nouveaux territoires d’investigation : dans la division contrastée de la surface, dans les jeux de tonalité, dans la fluidité du médium, dans le recours au dégradé, dans l’économie des moyens utilisés, dans les jeux de formes et leur rapport au traitement du fond, dans l’expression des gestes finalement retenus, parfois inlassablement répétés, dans les coulures qui nous rappellent à la fois la planéité de la surface, le redressement vertical du tableau, la matérialité picturale, dans les pleins et les vides eu-égard aux zones qui sont laissées immaculées… Le résultat, c’est cette paysagéité abstraite qui, pour partir du traitement de la matière, nous conduit à une ouverture suggestive sur l’imaginaire du regardeur.
Les dimensions généreuses concourent à cette éclosion du partage. Le carré, moins connoté que le rectangle, paraît plus pictural, laisse plus d’ouverture à l’interprétation singulière. Or chacun peut avoir deux visions au moins : du paysage, ou d’une toile abstraite. Cette peinture inspire le silence, la méditation. Elle constitue un havre de repos, un abri protecteur face à l’agressivité du présent. Et elle a pour elle l’intemporalité, les origines de sa pratique se perdant dans la nuit des temps. Marie-Cécile Aptel ne peint cependant pas seulement des œuvres dépouillées. Il lui arrive de couvrir ses tableaux de multiples couches d’où émergent des mots et des signes. Il n’est pas si facile d’échapper au réel et nul ne peut se targuer d’une rupture totale avec lui. En revanche, elle le traite à sa manière, subjective, de peintre et d’artiste, ainsi qu’elle l’entend. Elle se l’approprie pour nous le restituer singulièrement. Le vide l’attire, mais aussi le plein. Car l’un ne va pas sans l’autre. On parle même d’ambivalence à bien des égards.
À l’étage, on retrouve quelques fleurons de la collection (de Geer Van Velde à Brigitte Nahon et Wang Du, en passant par Jean Messagier, Donald Judd ou Malcolm Morley) et, dans la petite salle, une surprise, la plus sétoise des Écossaises, Vanessa Notley. On connaît ses réalisations sculpturales ou ses dessins animaliers, souvent drôles et anthropomorphes. Ce sont ces derniers qu’elle présente au LAC, plus exactement des séries plus récentes : celle des Trottoirs, que nous parcourons tous les jours sans pour autant les regarder, alors qu’ils fourmillent de propositions formelles et même de signes auxquels nous demeurons sourds. Ils nous sont imposés sans que l’on s’en aperçoive et ainsi orientent notre rapport au monde. Les dessiner, pour l’artiste, c’est faire accéder à la conscience leur impact visuel et sensible. Ils métaphorisent en quelque sorte l’ordre que nous impose la société.
Or, il nous reste la liberté d’y choisir notre itinéraire, d’y déambuler comme nous l’entendons et bien sûr de recourir au dessin, ainsi que le fait Vanessa Notley pour se l’approprier, reprendre quelque peu du pouvoir sur lui. Comme on le voit, la réflexion de l’artiste va plus loin que le simple fait de s’attarder sur un détail emprunté au réel. On retrouve cette relation à l’ordre imposé dans les autres séries de 2025, notamment Fencible conditions, où les formes sont entravées par des tuteurs ou clôtures ou par un fond quadrillé. L’artiste se réfère au milieu paysan des temps passés dans son pays, l’Écosse, et aux travaux qui leur incombaient et les maintenaient prisonniers. Quilting bees ne renvoie pas seulement aux abeilles industrieuses mais sans doute au travail textile des femmes, contraintes à des tâches minutieuses mais à même de s’évader par la rêverie, le chant, les propos, le langage donc. Miss Shapely joue sur les mots et dénonce l’hégémonie exclusive des critères esthétiques, et donc formels, dans notre façon d’appréhender les autres et le monde. Or la différence a ses raisons d’être et enrichit. Notre rapport à la forme est ainsi complexe et on y découvre matière à réflexion que Vanessa traite par le dessin car tel est son langage particulier, et partant intime.
BTN
Plus d’infos : lac-narbonne.art
Photo : Marie-Cécile Aptel au LAC