Cela fera bientôt quatre décennies que le Centre d’art et photographie attire chaque été les amateurs de photographie et les touristes désireux de continuer à apprendre. Ainsi divers lieux sont-ils sollicités l’été.
Et tout d’abord la maison St Louis, avec sa façade ornée du portrait en noir et blanc d’habitants, réalisés par un ancien résident ayant vécu en symbiose avec les commerçants et habitants, Arno Brignon. Cette année, c’est l’Américaine Arlène Gottfried, spécialisé dans la street photography, et récemment disparue, qui sera mise en vedette : en noir et blanc, avec sa série de mamies en sneakers ou sautant à la corde, et en couleur à l’instar d’une chanteuse de gospel du côté de Brooklyn qu’elle connaît si bien. La rue semble un perpétuel atelier où l’on croise des cyclistes entre deux âges, des enfants qui jouent, des bodybuilders peut-être en couple, des amoureux de la communauté noire, une mère-choucroute et sa progéniture… Un regard tendre, souvent empreint d’humour, sur la multiculturalité et sur l’humain en général, quand il pose en amateur.
À la Halle aux grains, Nelly Monnier et Eric Tabuchi poursuivent leur atlas des régions naturelles en France (il en existe 450), qu’ils traversent avec lenteur car il ne s’agit pas de s’inscrire dans le rythme effréné des grandes villes. Ils sont à la recherche de la bâtisse humaine atypique, anonyme ou sortie du lot, par sa forme ou son contenu, sa présence insolite parfois. Dans le Gers, ils ont ainsi sillonné, et trouvé des pépites dans trois territoires limitrophes de Lectoure, à la recherche de l’architecture incongrue, une habitation greffée à un silo, une tour crénelée au beau milieu d’un champ…. Les réalisations de Kevin Chrismann et Laura Freeth se présentent sous forme de quête et enquête dans le milieu agricole d’une moissonneuse batteuse enfouie, remodelage de la terre grâce à des trous (on n’est pas si loin du land art), plongée dans le milieu des paysans.
En l’École Bladé, le jeune belge issu de la communauté noire, Alassan Diawara (cf. Carré d’art), porte un regard plein de tendresse sur la jeunesse et les minorités culturelles en général. C’est un peu le fil rouge de cette session estivale que de proposer des artistes dont la démarche les rapproche des gens simples et accessibles, pas du style à poser pour les couvertures de magazine. C’est ce qu’a fait Anne Desplantez avec les enfants du Sarthé, ceux qu’il convient d’apprivoiser pour accéder à leur monde. Leur lieu de vie, un refuge par rapport à la violence extérieure, devient ainsi espace de découverte de l’image par les enfants eux-mêmes, celles qu’ils choisiront de s’approprier. La démarche est également documentaire et sociologique. Des clichés de visages d’enfants pris dans les années 20, viennent apporter un décalage historique, temporel et circonstancié.
La Cerisaie permet de découvrir les images brouillées, de tendresse ou d’efforts, comme dans nos souvenirs, de Damien Dufresne. A l’ancien tribunal, le Colombien Felipe Romero Beltran, sensible au drame familial et social qu’a constitué l’immigration forcée dans son pays dans les années 70, s’intéresse à la vie quotidienne des tout jeunes migrants ayant franchi le détroit de Gibraltar et attendant la régularisation de leur statut. Enfin le Collectif Le commun des mortels investit l’espace public de photos d’archives comme on les aime et comme on n’en fait plus.
À quelques encablures, La Manufacture royale, ancienne tannerie vouée au traitement du cuir et aujourd’hui chambres d’hôtes, s’associe au programme et parachève le parcours, en ces lieux de mémoire totalement remodelés et en l’église St Esprit. Thomas Dhellemmes y dévoile ses Chemins, témoignant d’un art de vivre, d’une activité pédestre qui prend son temps, à la découverte de surprises et imprévues. Son petit Damas personnel ou intime sans doute. Il fait confiance au polaroïd et privilégie le noir et blanc sans doute pour attribuer encore plus d’humilité à ses itinéraires. Les images sont floutées à l’instar de nos souvenirs. À la Manufacture, ces dernières imposent le Silence, grâce à des objets transfigurés par la grâce d’un simple rayon solaire, et déréalisés par le refus de la netteté et des séductions de la couleur. Ainsi semblent-ils, comme disait le poète, dotés d’une âme qui se répand dans toute la maison d’hôte. Celle-ci abrite également des céramiques de Grégoire Scarlate, organiques et fécondes. Elles sont abstraites et concourent à un supplément d’âme d’autant que les deux versions d’Achille proposées sont l’une en noir et l’autre en blanc.
BTN
Plus d’infos : centre-photo-lectoure.fr
Photo : Isabel Croft Jumping Rope, Brooklyn, NY, 1972 © Estate Arlene Gottfried, Courtesy Les Douches la Galerie, Paris