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Avignon | Sélection Off 2025. Chronique 2

15 Juil 2025 | Festivals, L'Art-vues a vu, Spectacles vivants, Théâtre, Vaucluse

Les peintres au charbon

« On veut juste être capables de regarder une image et de savoir ce que ça veut dire. » En gros, voilà ce que ce groupe de mineurs anglais affiliés à l’association pour l’éducation des mineurs attendent de la prof de peinture qu’ils viennent d’embaucher, tout ça parce qu’ils n’ont pas eu l’argent pour se payer un prof d’économie. Alors la peinture, ça fera bien l’affaire, histoire de relever le niveau. Seulement voilà, pas question de perdre son temps à étudier l’histoire de l’art et les subtilités des peintres de la Renaissance, c’est que vous comprenez, ma p’tite dame, « par ici on aime les poireaux et les lévriers, sinon, on peut aller se rhabiller. » L’enseignante tient bon, elle va au charbon, passez l’expression, les éduque, les entraîne, leur ouvre la voie. Ils vont même aller faire un tour à la Tate Gallery de Londres, un choc pour tous ces gars de la mine qui en font une drôle en découvrant Van Gogh. C’est qu’ils commencent à taquiner le pinceau, il y en a même un dont les tableaux ont tapé dans l’œil d’une richissime mécène, Madame Sutherland, qui lui propose de lui verser un salaire rien que pour peindre. Il refuse, par peur de trahir la classe ouvrière dont il est issu, ça ne se fait pas. Les peintres au charbon est tiré d’une histoire vraie d’un groupe de mineurs anglais des années 1930 qui découvrit la peinture par hasard, se prit de passion pour l’art et devint célèbre dans toute l’Angleterre. Ecrite par Lee Hall, par ailleurs scénariste de Billy Elliot, connu pour sa fibre sociale, la pièce raconte le parcours de ces gens du peuple, des galeries de la mine à celles de peinture, interrogeant la place de l’art dans la vie. C’est traité et joué avec une belle générosité, avec des moments choraux qui vous prennent aux tripes, truffé de citations marxistes, ce qui remet quand même les choses à leur place. Aux dernières nouvelles, on ne sait toujours pas si la classe ouvrière va au paradis, comme le disait le beau titre d’un film d’Elio Petri (1971), mais on est sûr cependant que l’art lui accorde parfois quelques belles épiphanies.

Au 11 du 5 au 24 juillet à 13h05

Luis Armengol

 

Elles disent… L’Odyssée

« Les enfants qui viendront parleront de Pénélope qui passa sa vie à tisser son linceul. Ils diront que cette femme jeune et jolie abandonna son visage aux années trop longues… » Une jeune comédienne, masque de tragédienne, bouleversante et royale dans la salle du roi René dont la vétusté figure parfaitement le palais en ruines du récit originel, dit les mots de Pénélope, ceux d’Homère et d’une Odyssée revisitée par Jean-Luc Lagarce dont les héroïnes s’émancipent de leur statut victimaire. Sa voix nous parvient comme une sourde prière portée par les vagues où s’est perdu son homme, cet Ulysse parti guerroyer depuis vingt ans déjà. Et qu’elle attend, contre vents et marées, malgré les conspirations de palais et les prétendants qui la menacent ou l’enjoignent. Se succèdent autour d’elle son fils Télémaque et celles dans le cœur et dans la couche desquelles Ulysse, ce captif à l’insu de son plein gré, a fait escale : la déesse Calypso, la nymphe Nausicaa et la magicienne Circé, dont la beauté a envoûté le voyageur. Dans le texte de Lagarce, une œuvre de jeunesse longtemps inédite qui préfigure déjà ses obsessions et le thème récurrent du départ et du retour dans ses œuvres avec la solitude et l’absence en prime évidemment, ces femmes puissantes prennent la parole. Une parole vibrante d’amour qui place le récit sous le prisme de leur intimité et les rend maîtresses de leur destin. Polyphonie de voix féminines et d’âmes tempétueuses qui livrent une autre version de l’Odyssée, entre attente et désir, espoir et désespoir, brûlantes de passion inassouvie pour un homme qui ne s’appartient plus, ballotté par les événements, coquille de noix sur la mer hostile du fatum. Elles sont trois pour dire l’Odyssée, d’une poignante sororité, aussi justes les unes que les autres : Hélène Boutin, incandescente Pénélope, Clémence Tenou et Louise Hinderzé Lamarche, aux côtés des talentueux Melvyn Baron et Vincent Marbeau qui signe aussi la mise en scène épurée d’un spectacle envoûtant où tout est suggéré, hormis les sentiments.

Au Roi René du 5 au 26 juillet à 17h30

L.A.

 

L’Iliade

Il va y avoir du sang, c’est ce qu’on se dit en voyant l’ambiance survoltée d’un vestiaire de sportifs harnachés comme des joueurs de football américain se préparant à en découdre avec leurs adversaires du jour. Sauf qu’on n’est pas ici dans un classique New York Giants contre Dallas Cowboys mais dans une bataille entre Troyens et Achéens, les uns emmenés par Ménélas et son champion Hector, les autres par Agamemnon et son meilleur guerrier Achille. Tout ça sous l’œil de Zeus dans le rôle d’arbitre peu scrupuleux et avant tout désireux de servir ses intérêts politiques. C’est toute la pertinence de cette adaptation contemporaine de la guerre de Troyes par la compagnie Thepsis qui transpose dans l’univers sportif le récit d’Homère pour mettre en scène deux équipes d’Achéens et de Troyens s’affrontant jusqu’à la mort sur le terrain. Semblables aux magnats d’aujourd’hui qui rachètent des clubs sportifs pour le prestige, les dieux sont de vulgaires businessmen qui sirotent des cocktails, prêts à toutes les combines pour faire gagner leur camp sans considération pour la casse d’humains. Ambiance hystérisée par un commentateur qui couvre en direct la bataille, prompt à la surenchère sensationnaliste pour exciter les esprits et faire monter la pression. On passe d’un vestiaire où coulent la sueur et les larmes à un luxueux bord de plage où coule le champagne pour quelques happy few à belle gueule, Zeus and Co, dont les stratégies cyniques se comptent en vies et en dollars. En fin de match et de spectacle, les applaudissements chaleureux du public saluent la belle performance des acteurs qui ont mouillé le maillot et forment un véritable groupe, justes et crédibles de bout en bout, offrant ce moment de théâtre épique où les dieux de l’Olympe se confondent avec ceux du stade. Tout simplement épatant.

La Factory – salle Tomasi, du 5 au 26 juillet à 19h15

L.A.

 

Elia généalogie d’un faussaire

Étrange visite que celle de cette Américaine débarquant dans l’atelier parisien du peintre Alain Laumonier. Un artiste en apparence pépère qui signe des toiles de bonne facture mais surtout réputé pour ses talents de faussaire qui l’ont amené jadis à purger quelques années de prison aux États-Unis. Il y menait grand train en écoulant de parfaites imitations de tableaux de maîtres, avec un penchant pour ceux de Chagall, grâce à la complicité d’un réseau de mafieux. L’Américaine s’avère être sa demi-sœur, Evelyn, venue lui révéler le secret de sa naissance, ce qui a pour effet de le mettre sacrément en colère au point de virer la belle dame en question, congédiant en même temps ses foutaises de parents juifs déportés et de famille recomposée outre-Atlantique. L’indicible est une affaire compliquée. Pas question pour Laumonier de troquer son identité d’orphelin recueilli par les bonnes sœurs, d’où sa passion pour piller les troncs d’église, puis adopté par une famille d’emprunt qui l’a vite rejeté. Ce qui pourrait facilement sombrer dans un pathos larmoyant prend des allures de saga passionnante d’un bout à l’autre de l’océan, avec l’histoire de ce père rescapé de la Shoah, parti en Amérique pour refaire une vie hantée par la perte de son fils. Car Alain Laumonier s’appelle en effet Elia Rabinowitz, enfant jeté sur un trottoir de la ville par les tortionnaires de ses parents en route vers les camps de la mort.  L’identité du faussaire elle aussi était un faux depuis sa naissance. La vérité de ses origines peut se frayer alors un chemin pavé de résilience, ballotée par les cahots de l’histoire personnelle et le chaos de l’Histoire universelle, avec sa grande hache comme disait Georges Pérec. On suit pas à pas le récit aussi émouvant que picaresque de la vie d’Alain Laumonier, entraîné dans un tourbillon nommé destin grâce au talent des trois interprètes, Jean-Loup Horwitz, également auteur du texte, Gabrielle Lazure et Magali Bros.  Avec ses jeux de lumière, la mise en scène fragmente judicieusement l’espace de la mémoire et du temps, enchâssant les récits parallèles, conjuguant avec bonheur le vocabulaire du théâtre et celui du cinéma. Un coup au cœur et un coup de cœur pour cet Elia.

Au Petit Chien du 5 au 26 juillet à 15h35

L.A.

 

L’affaire du tueur de l’ombre

Le public qui raffole des histoires vraies portées au cinéma comme au théâtre sera comblé avec celle de L’affaire du tueur de l’ombre, premier tueur en série répertorié en France. Il s’agit de l’insaisissable meurtrier qui sévit au début des années 70 en répandant la terreur dans la petite ville de Nogent-sur-Oise avec cette particularité qu’il ne tuait que des femmes brunes en pleine nuit. La psychose était telle que les femmes n’hésitaient pas à se teindre en blond pour échapper aux griffes de l’assassin. La pièce s’ouvre avec l’arrivée du jeune inspecteur Daniel Neveu, muté à la Police Judiciaire de Nogent-sur-Oise où il se voit confier l’enquête qui stagne après cinq années de recherches infructueuses et six meurtres… Elle va tourner à l’obsession pour lui, au détriment de sa vie privée, entre engueulades au commissariat ou au domicile conjugal. Lancé dans une traque ininterrompue de plusieurs années, il va tenter de comprendre les motivations du tueur en utilisant des techniques de profilage du F.B.I. encore méconnues en France. L’affaire du tueur de l’ombre est le récit de cette plongée au cœur d’une enquête retentissante et d’une petite ville ouvrière marquée à tout jamais par cette affaire dont le spectacle raconte les principaux rebondissements qui aboutiront à l’arrestation du tueur. Les cinq comédiens de la compagnie des Poulbots font revivre ces événements avec véhémence et conviction, incarnant une galerie de personnages, témoins ou suspects, victimes et tueur lui-même, présentés derrière de grands panneaux en ombres chinoises. Procédé judicieux pour accentuer l’atmosphère sombre d’une pièce qui exhume un fantôme du passé entré au panthéon des angoisses de la France des années 70.

Présence Pasteur du 5 au 26 juillet à 16h25

L.A.

 

La lente et difficile agonie du crapaud buffle sur le socle patriarcal

Cette « proposition féministe, joyeuse et cathartique », comme il est écrit dans le dossier de presse, s’avère en effet aussi désopilante qu’édifiante tout au long des échanges entre ses trois protagonistes. Nous sommes en décembre 2021 et Alain Finkielkraut, dans le cadre de son émission « Répliques » sur France Culture, reçoit la philosophe Camille Froidevaux-Metterie, autrice d’Un corps à soi et l’essayiste Jean-Michel Delacomptée, auteur de Les hommes et les femmes, notes sur l’esprit du temps. Le débat s’engage sur le ton d’une urbanité de bon aloi à laquelle Finkielkraut ne déroge pas en début d’émission, sous l’œil de l’invité mâle totalement hermétique aux propos de la philosophe. Les rapports entre les sexes, leur (r)évolution et les revendications féministes sont au centre des débats et on assiste en même temps d’un côté à une plaidoirie implacable en faveur de la cause des femmes et au naufrage pathétique des arguments masculinistes plus ou moins assumés dans l’autre camp. Théâtre de la parole, certes, mais agrémenté d’un moment de doux délire, puisque nous sommes au théâtre, quand l’animateur et son invité se livrent sous nos yeux à un numéro de folles en plein coming-out. On rit de bon cœur face à cette charge, d’un manichéisme totalement assumé, servie sur un plateau par trois excellent(e)s interprètes, Julien Flament, Juliette Lamour et Anne-Sophie Pauchet. Adaptation scénique scrupuleuse, à la parole près, d’un grand moment de radio entre féminisme politique et discours patriarcal qui restera comme un document édifiant de l’histoire des rapports entre hommes et femmes.

Théâtre du Train bleu du 5 au 24 juillet à 20h40

L.A.

L’Amant

Ce n’est pas celui de Marguerite Dumas mais celui de Harold Pinter qui est joué par Sarah Biasini et Pierre Rochefort au théâtre du Chêne Noir, lieu permanent de la scène avignonnaise connu pour l’exigence de sa programmation. Sarah et Richard forment un couple en apparence harmonieux mais le vernis bourgeois de cette tranquille normalité ne va pas tarder à se craqueler au fil de la pièce. On apprend vite en effet que l’épouse reçoit régulièrement un amant chez elle, en parfaite connaissance de son mari, et l’on saura un peu plus tard que lui-même a une liaison extra-conjugale depuis pas mal de temps. Leur complaisance complice ne va pas tarder à voler en éclats quand pointera le museau de la jalousie et de la frustration. Egratignant au passage l’hypocrisie d’un certain libéralisme des sentiments, Pinter explore la mécanique du désir au sein du couple où les petits arrangements ne sauraient tenir lieu de sauf-conduit pour garantir la pérennité du mariage.

Au théâtre du Chêne Noir du 5 au 26 juillet à 15h15

L.A.

 

Le roi se meurt

Longue et bavarde agonie que celle de ce roi répondant au nom improbable de Bérenger, pourtant récurrent dans plusieurs de ses pièces, imaginée par Ionesco dans un texte qui subvertit le théâtre traditionnel et ses codes, demeurant un des classiques du répertoire français. A peine rétabli d’une grave maladie lorsqu’il l’écrit en quelques jours, pressé par une urgence palpable tout long de la pièce,  l’auteur aborde l’absurdité de la mort à travers le portrait d’un homme en plein déni de sa finitude. Le lyrisme côtoie ici la farce clownesque pour restituer le tragique existentiel de la condition humaine, fût-elle royale, comme le souligne le jeu parfois délibérément cacophonique de la compagnie  A tout va qui s’intéresse aux beaux textes comme aux corps en mouvement. Le personnage principal refuse de croire à sa fin autant qu’on a du mal à croire en cette figure d’anti-héros, si ce n’est pour juxtaposer nos propres angoisses avec la sienne devant notre condition de simples mortels. Afin, peut-être, de conjurer un destin fatal le temps d’un spectacle de théâtre.

Théâtre des Gémeaux du 5 au  26 juillet à 14h20

L.A.

 

Photo : Les peintres au charbon au 11 jusqu’au 24 juillet

 

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